"La foi sauve l'âme, mon fils. Repentez-vous."
Pour mon âme, j'avoue ne pas m'être penché sur le problème, elle se porte ma foi très bien, j'ai conservé mon jugement et mon sens critique intacts. Ce sont pour moi les deux piliers de l'âme de l'homme que je fus, que je suis encore un peu et que j'espère n'être pas moins dans le futur.
"C'est Pandemonium…Le monstre de Cadoïn. Il ne sort que le soir."
"Si on le mettait à la lumière, sûr qu'il cramerait, lui et la pourriture qui lui ronge le corps et l'esprit."
"Chut, il entend"
Ne le dites-vous pas tout haut dans ce but ? Pourquoi ne pas vous contenter de le penser si je vous inquiète ?
"Il paraît qu'il a vendu son âme au diable. C'est pour ça qu'il ne manque jamais de fonds."
La belle affaire qu'il aurait faite, le diable. Au prix que je vends mes livres, j'aurais négocié mon âme assez largement pour acheter tout le quartier de Cadoïn. Pourri, certes mais l'esprit commerçant malgré tout.
Je sors lorsque le soleil tombe lentement et glisse jusque sous les toits, au creux des branches de Cadoïn : la lumière est moins pénible pour moi à cette heure, mes yeux la redoutent et je n'y suis pas à mon aise, en effet.
Brûler ? Quelle superstition imbécile.
Cette sortie a pour but premier de prouver à ces esprits échauffés que je ne redoute pas la lumière et que je suis un bon croyant, qui recherche le salut dans les écrits saints.
Du paroissien que je promène chaque soir, je n'ai lu en réalité qu'une dizaine de pages. Il est assez bien tourné et c'est un fort beau livre mais Dieu, que ta parole m'ennuie, je m'en excuse, crois-le bien.
Me voir lire ce missel ne fait pas taire la rumeur mais l'empêche de dégénérer, c'est ma vitrine affichée de créature inoffensive. Je ne suis point un monstre, je suis malade, braves gens, n'ayez nulle inquiétude, nous croyons au même ciel.
A vrai dire, tout cela reste justement très rituel : une dizaine de pages tous les soirs que je tourne sans les lire avant de les marquer d'un signet. Lorsque ce livre est terminé, je prends son frère jumeau, un autre missel, et recommence.
C'est ce qui apaise les esprits.
Mais ce n'est pas la seule raison.
A cette heure et en cette saison, le soleil perce à travers les branches et laisse tomber son voile quelques minutes sur la pierre où je me tiens assis. Assez longtemps pour que je ne ressente aucun malaise.
Assez longtemps pour me donner l'illusion quelques instants que ma peau est chaude, vivante.
Si je dois avoir la foi dans un dieu, dans un diable, dans un Saint-Esprit, c'est là sans doute que je l'éprouve.
Je peux encore contempler le jour bien en face et jouir de sa beauté. Mon âme – qui est donc bien là- s'en réchauffe elle aussi.
Pour avoir été un homme bien naïf, je n'ai plus de souffle, plus de sommeil, un sang noir et putride.
Ça ne doit pas être un pêché bien grave puisque j'ai conservé quelques privilèges des vivants.